L’analyse de votre ADN est désormais accessible à un prix abordable pour découvrir vos origines ethniques, retrouver vos cousins génétiques mais aussi déterminer de potentiels risques médicaux. Des questions éthiques se posent sur l’utilisation et la restitution des données médicales. La conférence organisée à l’Institut de myologie a abordé cette question, du point de vue du praticien, dans le cadre médical français.
La révolution de la médecine génétique
En 2009, le premier génome humain fut décrypté par une équipe internationale aux termes de 13 années de travail et de 3 milliards de dollars d’investissement. En 2025, le même séquençage durera une heure et coûtera 100 dollars. La médecine génétique a vécu une révolution technique, technologique, culturelle et déontologique, en seulement 15 ans. Aujourd’hui, seuls 1 600 gènes responsables de maladies génétiques ont été identifiés. Or, il existe 6 000 maladies génétiques connues. Et la science ne cesse de progresser, et d’identifier des gènes prédisposant à certaines maladies. La difficulté réside en ce que la frontière entre Recherche, Prévention et Diagnostic peut s’avérer floue.
Un des effets « secondaires » de cette démocratisation des tests génétiques est l’apparition de diagnostics non voulus. En cherchant dans le génome un gène spécifique, le laboratoire d’analyse génétique peut identifier d’autres gènes potentiellement à risques. Ces gènes peuvent soit indiquer une maladie génétique incurable, ou une maladie susceptible de se déclencher ou pas. La question se pose pour les praticiens de savoir s’il faut le dire ou non aux patients.
La France à la traîne des tests génétiques
En 2016, le gouvernement a lancé le plan France Génomique 2025. Un investissement de 670 millions d’euros dédié à la recherche génétique des cancers et maladies rares. « La médecine personnalisée est donc au cœur de l’innovation en matière de diagnostic, de pronostic et de traitement. » Découvrez l’interview de Pierre Tambourin acteur majeur de l’ambitieux plan France Génomique 2025, qui va bouleverser la gestion de la santé des français. Ce plan ambitieux est cependant financièrement insuffisant au vu de l’impact organisationnel des services de santé, des patients et malades potentiels. Insuffisant en termes de données génétiques disponibles. Insuffisant en termes de la population française, de la masse de données à traiter. Insuffisant au vu de l’avance pris par nos voisins les plus proches. La Grande-Bretagne a créé une Biobank publique avec quelques 500 000 profils ADN. L’Estonie veut créer une biobank de l’ADN de tous ses citoyens. L’Islande a été un des premiers pays à le faire. Les données génétiques et arbres généalogiques des islandais appartiennent en exclusivité pour 12 ans à deCODE, un groupe pharmaceutique privé. Et les islandais, susceptibles de développer une maladie génétique, ne seront pas informés de ce risque médical ! Les sociétés commerciales se sont emparées de cette manne d’informations bien avant les États. En procédant à un test de généalogie génétique, nos données sont revendues de façon anonyme à des biobanks auprès desquelles les scientifiques français vont se fournir, c’est à dire acheter les données génétiques indispensables à leurs recherches. Créé en 2006 par Anne Wojcicki, l’épouse du fondateur de Google, 23andMe, propose des tests de généalogie génétique et des tests génétiques médicaux. Avec leurs 10 millions de profils ADN, ils disposent aujourd’hui de la plus grande base de données ADN. Et cette base de données ADN appartient à une société commerciale privée. Contrairement à d’autres laboratoires revendant les données génétiques, 23andMe exploite directement les données à des fins médicales, et grâce à des questionnaires de santé auxquels vous pouvez répondre ou pas.
Les 59 gènes en cause
La médecine génétique n’en est qu’à ses débuts, et les généticiens ont conscience que nombre de leurs conclusions actuelles pourront être révisées voire contredites dans le futur. Mais parmi les gènes étudiés, l’ACMG (American College of Medical Genetics and Genomics) a identifié officiellement un panel de 59 gènes porteurs de maladie. Imaginons que vous deviez faire un test génétique pour savoir si vous êtes porteur du gène de la mucoviscidose. Le laboratoire génétique médical pourra analyser pour un prix minime l’ensemble de vos gènes. Et en recherchant le gène de la mucoviscidose, il pourra découvrir un autre gène porteur d’une autre maladie. En médecine, ils appellent ça les données secondaires. Ce type de problématique a déjà été identifié par les radiologistes. Découvrant des informations médicales autres que celles recherchées initialement, lesdites informations seront transmises au patient si cela peut lui être utile. Mais pour les tests génétiques, la loi française y est opposée dans un arrêté du 27 mai 2013 : La question du rendu des résultats au patient se pose lorsque l’examen génétique conduit à révéler fortuitement d’autres informations que celles recherchées. Le droit en vigueur (…), pour protéger le patient d’informations inutiles, angoissantes ou dont la révélation n’est pas désirée, n’est pas en faveur de la transmission d’informations autres que celles initialement recherchée et pour laquelle le patient a consenti à la réalisation de l’examen. La loi européenne, pour ne pas avoir à gérer ces données secondaires, préconise une autre solution : uniquement étudier le gène recherché et aucun autre. L’objet de la conférence était donc de savoir si il fallait informer ou pas les patients, demander leur consentement via des formulaires d’autorisation. Vous venez donc de passer un test pour savoir si vous êtes porteur de la mucoviscidose. Heureusement pour vous, la réponse est non. Mais en pratiquant cet examen, le laboratoire génétique a découvert par incidence que vous êtes porteur du gène de l’hypercholestérolémie familiale, d’une cardiomyopathie familiale ou du BRCA1/BRACA2 déclenchant un cancer du sein (le fameux gène dont Angelina Jolie est porteuse). Vous acceptez de participer à une étude médicale en entrant dans un projet de Recherche génétique, et en analysant votre ADN, ils découvrent ces données secondaires génétiques. Pour votre bien, le médecin ne vous le dira pas. Pour votre bien, vous ne saurez pas non plus que vous transmettrez ces gènes à vos enfants, que vos frères, sœurs, neveux et nièces, cousins, cousines, tous et toutes ont potentiellement le même risque génétique. Pour votre bien, vous ne suivrez aucun traitement préventif, aucun suivi médical spécifique. Lorsque vous vous présenterez avec des symptômes de ces maladies, votre médecin traitant n’en aura pas non plus été informé.
Le consentement du patient
Les généticiens s’inquiètent pour nous de l’impact qu’une telle épée de Damoclès pourrait produire. Alors, ils ont mis au point des formulaires de consentement (digne des contrats d’assurances ou conditions générales bancaires) où vous devrez tout en bas cocher la petite case. Cette petite case déterminera si vous voulez connaître les résultats des données secondaires ou pas. Quand vous faites un achat sur internet, vous disposez d’un droit de rétractation de 14 jours. Cela vous laisse le temps d’envisager si vous n’avez pas agi par impulsion, si c’est le bon choix pour vous ou pas. Avant d’effectuer un avortement, vous deviez respecter un délai légal de réflexion obligatoire de 15 jours. Cette obligation de délai vient d’être supprimée.
Mais en cas de test génétique, vous devez répondre immédiatement et sans retour en arrière si vous voulez le savoir ou pas. Sans encadrement, information sur les risques génétiques, sans délai de réflexion… Réagirez-vous de la même manière à 20 ans ou 60 ans, avec ou sans enfants, ayant vu un de vos proches malade ou pas, connaissant ladite maladie ou pas… Nombre de facteurs personnels entrent en ligne de compte dans la psyché humaine. Nous vivons avec le risque tous les jours. Depuis les attentats du 11 novembre, nous savons que chacun d’entre nous peut être atteint dans les transports en commun, les restaurants, une salle de spectacle ou en allant faire ses courses au supermarché. En quoi le risque génétique serait-il différent ? Les généticiens s’interrogent sur le « consentement éclairé » du patient. N’est-ce pas le rôle du praticien justement d’apporter cet éclairage ? Pire, les généticiens connaissent déjà les réponses. Reprenons le cas de la mucoviscidose, la famille sera informée du risque potentiel de porter le gène déficient. 50 % des membres de la famille passeront le test, 50 % des membres de la famille choisiront de ne pas passer le test. Ils ont la liberté de vouloir savoir ou la liberté de ne pas vouloir savoir.
Le paradoxe généticien
La conférencière va mette en avant un constat pour le moins étonnant. Interrogés dans des questionnaires anonymes, les généticiens sont à 95 % pour dévoiler aux patients les données secondaires. Mais lorsque la conférencière intervient en public, ces mêmes généticiens y sont majoritairement opposés. Elle ne s’explique pas ce paradoxe, alors comment le pourrais-je ? Pourquoi en public refusent-ils ? Subissent-t-ils les 5 % des généticiens, peut-être les plus anciens, les plus influents qui y seraient imposés ? Et bien me voilà en train d’essayer de comprendre malgré tout pourquoi, c’est dans mes gènes ;-) Au 19e siècle, les français mourraient en bonne santé. Le médecin de famille rassurait son patient sur ses symptômes alarmants. En bon père de famille, bienveillant à l’égard de son patient, il jugeait inutile de l’informer du cancer le tuant à petit feu. N’ayant aucun traitement à lui proposer, il lui épargnait ainsi les affres de la connaissance. Le malade agonisait sans le savoir, et le cancéreux mourrait en bonne santé. De tels comportements ont perduré et perdurent parfois encore. Les généticiens veulent-ils reproduire ces mêmes erreurs avec leurs patients, en leurs cachant un risque génétique familial potentiellement mortel ? Dans une étude de l’institut Curie publié en septembre 2018, 81 % des français se déclarent prêts à faire un test génétique afin de dépister un éventuel cancer héréditaire, bien que n’ayant aucun risque dans sa famille.
L’impuissance des généticiens
Les clés de la compréhension de l’attitude des généticiens par rapport à ces données secondaires me seront fournies lors des interviews de Jean-François Deleuze et Pierre Tambourin. La médecine française manque de moyens financiers. Pour accompagner cette nouvelle discipline, il faut créer des structures d’encadrement, de nouveaux métiers comme celui de conseiller génétique, de nouvelles procédures d’accompagnement psychologiques pour une majorité de français, et non plus pour ceux atteints de maladies orphelines pris en charge grâce au remarquable travail de l’AFM Téléthon, notamment. Ils peuvent informer le patient, mais ne peuvent pas l’accompagner médicalement et psychologiquement, dans ce nouveau parcours de soin innovant voyant le jour. Donc, faute de pouvoir informer le patient sur les maladies génétiques, faute de pouvoir l’« éclairer » sur tous les aspects, y compris incertains des pathologies génétiques, ils estiment que pour le moment, le mieux est de tenir le patient dans l’ignorance. La frontière entre gène et maladie est parfois imprécise, complexe, voire incertaine. Informer un patient d’un risque génétique peut s’avérer plus nocif que positif, celui-ci ne déclenchant jamais ladite maladie. L’exemple le plus frappant est celui des « vrais » jumeaux possédant exactement les mêmes gènes, et dont l’un va déclencher une maladie génétique et pas l’autre. Les généticiens cherchent à comprendre pourquoi. Nous sommes aujourd’hui davantage dans le domaine de la Recherche que du diagnostic.
Innover en médecine génétique
Ces données secondaires concerneraient 2 % des français. C’est peu 2 % sauf lorsque je le convertis en nombre de français concernés : environ 1 500 000 personnes ! Et je pense à l’application française MoovcareTM développée pour les patients ayant eu un cancer du poumon. Le patient entrait lui-même les données concernant sa santé, envoyées directement au cancérologue. Ceux groupes témoins avaient été établis, un groupe avec le traitement standard et un groupe avec l’application et moins de scanners. Les résultats sont édifiants : « Un an après le début de l’étude, 75% des patients équipés de l’application étaient encore en vie, contre seulement 49% dans le groupe témoin. Les taux de rechute étaient similaires dans les deux groupes avec 51% et 49% respectivement. Toutefois, l’état général des patients au moment d’une rechute était assez bon parmi ceux qui utilisaient l’application, ce qui a permis à la grande majorité (74%) de pouvoir suivre le traitement recommandé. Par comparaison, seulement un tiers de l’autre groupe était suffisamment robuste pour supporter un nouveau traitement. » Alors, à quand des applications développées pour les malades génétiques. Vous avez une cardiomyopathie, surveillez facilement vos symptômes pour pouvoir détecter précocement un problème cardiaque, alerter votre médecin et passer en priorité aux urgences sachant que vous avez cette pathologie. Le risque génétique serait surveillé, précocement détecté et précocement soigné. Aux médecins et aux généticiens d’inventer les technologies du 21e siècle. Où sont les entrepreneurs français pour relever ce défi de l’e-santé des 21e et 22e siècles ?
Le village génétique gaulois
Je posais deux questions à la fin de la conférence. Mais dans ce cénacle de généticiens, mes questions pragmatiques sur le contexte actuel s’avéraient mal venues. Que les laboratoires de génétique, incluant la recherche généalogique, existent, que les patients puissent s’y adresser directement les incommodent. Le patient sort du parcours imposé par les penseurs médicaux. La conférencière rappellera surtout que ce type de test génétique est interdit en France. Voici les généticiens dans la salle poussant un soupir de soulagement. Je n’aurai plus la parole pour expliquer que l’interdiction des tests génétiques en France vise surtout à interdire la tenue de fichiers discriminatoires en termes d’origines ethniques ou les organismes de santé privé, telles les mutuelles, d’utiliser lesdites données. Si demain je devais être poursuivie pour avoir fait des tests génétiques généalogiques et médicaux, il suffirait d’aller jusque devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour que l’état français et les généticiens français expliquent pourquoi je n’ai pas le droit de faire tester MON ADN, pourquoi je n’ai pas le droit de savoir si je suis porteuse du même gène qu’Angelina Jolie, pourquoi je n’ai pas le droit de préserver ma santé ? N’est-ce pas pour ça, d’ailleurs, que personne n’a jamais été poursuivi en France ? A l’heure où par ailleurs nous sommes incités de plus en plus à être acteur de notre santé, en prenant soin de notre alimentation, de faire du sport, de ne pas fumer, boire modérément… nous n’avons pas le droit de prendre les précautions préventives nécessaires si nous sommes porteur du gène de l’hypercholestérolémie. Savez-vous que si vous êtes porteur du gène de la cardiomyopathie familiale, il vous sera interdit de pratiquer le sport, ce qui pourra vous sauver la vie. Combien de footballers professionnels l’ont appris trop tard. Ah mais non, vous ne le saurez pas, pour votre bien. Les généticiens ont estimé que vous ne deviez pas le savoir car il s’agit d’une donnée secondaire. Est-il besoin de rappeler comme Internet a bouleversé notre société, notre mode de communication, d’information, de consommation… Mais en France, les généticiens estiment toujours que les nuages radioactifs s’arrêtent à la frontière de notre pays. Le village gaulois des généticiens ne nous laissera pas connaître le résultat des tests génétiques médicaux sans leur accord. Peu importe qu’il nous suffise d’aller en Belgique, Espagne ou Grande-Bretagne pour avoir accès aux tests génétiques sans même plus franchir de frontière. C’est l’Union européenne. Helix, laboratoire génétique américain, va bientôt commercialiser le test génétique de ces 59 fameux gènes déficients. Il vous suffira de le commander par internet pour le recevoir à votre domicile. Un tube de salive à remplir et renvoyer, vos données seront accessibles sur un site internet. Aucun accompagnement pour lire et comprendre les résultats, exactement ce que veulent éviter les généticiens français. Derrière ma colère, un profond regret : je déplore tant que les données génétiques soient exploitées ainsi commercialement plutôt que dans le cadre médical français, dans notre intérêt à tous. Je suis la première à déconseiller de passer par ces laboratoires commerciaux pour faire des tests génétiques médicaux. Je souhaiterais tellement que ce soit effectué dans le cadre français, dans un cadre médical encadré et sécurisé. Ainsi que le signale Bernard Perbal, du Groupe de Recherche en Droit, Economie et Gestion, dans son article « Pour une liberté surveillée des tests génétiques » : Il apparait que, en souhaitant restreindre la mise en œuvre de l’analyse des caractéristiques génomiques à un cadre uniquement médical, judiciaire et de recherche afin d’assurer une meilleure protection du consommateur, ni la législation Française actuelle ni le nouveau projet de règlement européen ne permette de participer pleinement à cette révolution et d’être au premier rang des acteurs socio-économiques et scientifiques dans les domaines de la biomédecine du futur. Mais peu importe, en France, les malades atteints hypercholestérolémie familiale, de cardiomyopathie ou de cancer du sein héréditaire mourront avec des gènes parfaits. Et à ces généticiens, il leur faut méditer cette phrase de Nelson Mandela : Ce qui se fait pour moi sans moi se fait contre moi.
Pour en savoir plus : le film réalisé sur le sujet par la Filière de Santé Anomalies du Développement et Déficience intellectuelle de Causes Rares. Retrouvez les documents explicatifs sur les maladies rares génétiques. d’AnDDi-Rares