Les laboratoires de généalogie génétiques nous promettent de nous révéler nos origines ethniques grâce à notre salive. En effectuant les tests dans plusieurs laboratoires, nous obtiendrons des résultats partiellement contradictoires. Des origines irlandaises dans l’un, mais pas dans l’autre… Pourquoi de telles différences ? Où se trouve la vérité ?  Je vous propose les clés de compréhension.

Un test génétique pour déterminer nos origines ethniques diverses

Un test génétique pour déterminer nos origines ethniques diverses © Pixabay

L’offre commerciale des laboratoires de généalogie génétique

Les laboratoires de généalogie génétique nous offrent, grâce à l’analyse de notre salive, de nous révéler nos origines ethniques. Avec l’avènement des tests génétiques, la notion de race a été définitivement réfutée par les scientifiques (voir le chapitre de mon ouvrage, Pas de races, mais des peuples). Il s’agit donc de nous présenter sur une carte les zones géographiques dont nous provenons, avec des pourcentages potentiels d’origine. Spectaculaire, cette offre attire nombre de testeurs à la recherche d’eux-mêmes.

Momondo, une agence de voyage, en a d’ailleurs fait une campagne publicitaire dans le but de dévoiler que nous sommes tous cousins. Les testés voient leurs certitudes sur leurs origines remises en cause, en découvrant, comme Aurélie, être d’origine anglaise et non française. Et pourtant ses parents, ses grands-parents, ses arrière grands-parents étaient français. Alors, le test génétique va-t-il bouleverser notre identité ?

La méthode d’analyse génétique

Revenons tout d’abord sur la méthode d’analyse utilisée par les laboratoires. Deux techniques existent, utilisées par les scientifiques et les laboratoires.

Dans la première méthode, l’analyse de marqueurs spécifiques nommés AIM (Ancestry Informative Markers), rattachera le testé à une population dont on connait les caractéristiques génétiques. Cette approche est comparative. A noter que le terme Ancestry est trompeur, et que le gène ne vous rattache pas à vos ancêtres.

Dans la seconde méthode, on va regrouper les personnes partageant les mêmes caractéristiques génétiques, afin de déterminer des catégories de population. Cette approche sera statistique et comparative.

Les laboratoires de généalogie génétique vont disposer des mêmes panels, fruit d’études scientifiques publiées et gratuitement disponibles, pour identifier les différentes populations :

Le panel ethnique de 23andMe composé d'utilisateurs de 23andMe et de panels publics.

Le panel ethnique de 23andMe composé d’utilisateurs de 23andMe et de panels publics.

En plus de ces panels, les laboratoires de généalogie génétique utilisent les données récoltées auprès de nous :

  • LivingDNA a lancé un grand projet de collecte d’ADN nommé One Family One World. En collectant les données génétiques provenant des autres laboratoires, ils comptent pouvoir offrir le plus large panel d’origines mondiales possibles.

Certains laboratoires ont parfois été chercher directement sur place les échantillons d’ADN nécessaires à leur recherche spécifique.

Tous ces panels génétiques ont été constitués à partir d’analyse d’ADN de personnes vivants de nos jours, dans les régions / pays où ils vivent aujourd’hui. Et cela a son importance !

Être juif ou pas

Parmi ce qui hérisse le plus les scientifiques, les accroches commerciales racoleuses pour les juifs. Les ashkénazes, avec la seconde Guerre mondiale, ont parfois perdu la trace de leur histoire familiale. Certains sites leurs proposent donc de savoir si ils font partie de la famille Lévy, ou la famille Cohen. Ceci laisse supposer qu’il existe un gène spécifique aux dites familles.

Ils pourraient en fait tout aussi bien vous proposer de savoir si vous appartenez à la famille Dupont, Durand ou Duchmol.

En analysant le chromosome Y transmis de père en fils, vous pouvez remonter jusqu’au même ancêtre commun.

Si un ancêtre Levy a eu un enfant naturel avec une Durand en 1800, vous le Durand de 2018 serez génétiquement en fait le fils d’un Levy. Cela fait-il de vous un juif pour autant ?

Et si un Levy, en faisant analyser son ADN, découvre qu’une de ses ancêtres a eu un enfant avec un Durand, cesserez-vous d’être juif pour autant ?

Le gène juif existe-t-il ? Voici un sujet sensible et aux relents hautement racistes potentiellement. Il faudrait inventer un nouveau terme pour les origines génétiques. Peut-on parler d’un peuple, d’une population, d’une tribu, d’une ethnie, d’une communauté… l’homogénéité des gènes provient des mariages communautaires dans un groupe « restreint » .

Vous qui faîtes de la généalogie et dont les ancêtres se sont mariés entre les mêmes familles dans un village des Hautes-Pyrénées ou d’ailleurs, avec des gènes identifiables, vous considérerez-vous comme le peuple dudit village ?

Identité génétique ou culturelle ?

Cette méthode de présentation simpliste des origines ethniques hérisse les spécialistes en génétique des populations. Elles sous-entendent la catégorisation de la population humaine en races, bien loin de la complexité du sujet. Dans leur article critique L’ADN au service d’une nouvelle quête des ancêtres ?, Jean-Luc Bonniol et Pierre Darlu s’insurgent sur cette utilisation simpliste, voire « simplissimiste », et erronée des données génétiques.

Allons-nous nous désormais nous définir à travers nos données génétiques ethniques ou notre identité se constitue-t-elle différemment, notamment culturellement ?

Un exemple très simple, je suis créole réunionnaise par ma mère. Or, génétiquement parlant, les créoles réunionnais n’existent pas. Nous sommes issus du brassage de populations diverses s’étant installées de gré ou de force à l’île Bourbon. Suivant les époques d’installation à l’Île Bourbon, puis Île de la Réunion, les différentes populations se sont plus ou moins mélangées.

Le métissage européen / malgache / indien / africain a constitué la population de l’île Bourbon dès sa fondation au 17e siècle. Au 18e siècle, avec l’arrivée massive d’esclaves malgaches et du continent africain, de riches nobles blancs, puis d’engagés indiens, nombre d’entre eux se sont mariés plus ou moins uniquement dans leur population d’origine, ce qui a pu perduré jusqu’à nos jours… ou pas.

Alors, qui sont génétiquement parlant les créoles réunionnais ? Ceux ayant les gènes des habitants les plus variés (et de quels habitants ?), ceux ayant les gènes les moins variés, moyennement variés, de quelle moyenne, ceux ayant l’ADN des premiers habitants, mais à partir de quand est-on considéré comme un habitant, et l’esclave forcé de s’installer sur l’île est-il un habitant ? Faut-il considérer les petits blancs d’en haut, qui ont constitué un groupe très endogamique, comme une communauté réunionnaise à part entière ?

Si l’île avait été isolée, et que ses habitants ne se soient reproduits qu’entre eux, pendant encore plusieurs centaines d’années, la population aurait peut-être constituée une communauté génétique identifiable à part.

Génétiquement parlant, le créole réunionnais n’existe pas. Culturellement, l’identité créole réunionnaise existe à travers notre diversité génétique.

Et il en est de même pour la notion de Français, Allemand, Italien, Camerounais, Congolais, Chinois, Vietnamien, etc. Pas plus qu’on ne peut parler d’origine française, allemande… ni d’origine de France, d’Allemagne… ni d’origine de Bretagne en France, ou du Languedoc en France…

Vous voici perdus et confus. Comment ? Et pourtant ce sont ce que les laboratoires génétiques nous présentent sur des cartes et avec des détails parfois très précis comme mes résultats ethniques sur 24Genetics.

Pour comprendre, il nous faut revenir à nos cours d’histoire, envisager les migrations volontaires et forcées, ainsi que les événements non filiatifs. N’oublions pas que nos sommes une espèce migratrice depuis les débuts de l’homo sapiens en Afrique.

Généalogie et origine ethnique

Pour les personnes effectuant le test par simple curiosité, et sans se renseigner plus avant, les conclusions données sont partielles et incomplètes. Pire, elles véhiculent l’idée de gènes identitaires de nationalités ou religions.

Pour nous généalogistes qui utilisons la génétique pour confirmer nos trouvailles, découvrir un père naturel, ce n’est qu’un début, source de nouvelles interrogations et recherches.

L’analyse autosomale va nous fournir un panel d’origines, via des pourcentages. Nous aurons parfois un degré de précision étonnant. Vous avez 0,75 % d’origine portugaise. A quoi cela correspond-t-il ?

Je vais prendre l’exemple d’un généalogiste à la recherche de son arrière grand père, soldat portugais présent en France durant la première guerre mondiale. Ayant effectué un test ethnique sur 24Genetics, il obtient comme résultats :

  • 0,75 % Portugal
  • 32,50 % Espagne
    • 13,40 % Galice
    • 16,55 % Castilla Leon
    • 2,15 % La Rioja
    • 0,30 % Baléares
    • 0,10 % Navarre

 

Carte du Portugal et d'une partie de l'Espagne. Au nord du Portugal, la Galice.

Carte du Portugal et d’une partie de l’Espagne. Au nord du Portugal, la Galice.

Potentiellement, il est supposé avoir hérité de cet arrière grand père portugais, 12,50 % de ses gènes. Le voici complètement perdu. Comment peut-il être passé de 12,50 % d’origine portugaise à 0,75 % ?

Sa première démarche sera de cerner la branche dont est issue l’ancêtre portugais. Étant l’aïeul de son père, il faudrait faire tester son père. Or, il est décédé. Il fera donc tester sa mère. Tout ce qui ne sera pas d’origine de sa mère sera d’origine de son père.

Nous allons partir du principe que l’aïeul recherché était bien portugais, en éliminant les événements non paternels ou non filiatifs.

Le généalogiste en question a reçu potentiellement 12,50 % des gènes de son aïeul, mais les gènes en question peuvent être uniquement espagnols. L’aïeul en question pouvait avoir un père portugais et une mère espagnole par exemple, ou un grand-père espagnol. La transmission des gènes étant aléatoire, il peut n’avoir transmis que ses gènes espagnols et non pas ses gènes portugais. Il n’en demeure pas moins portugais de nationalité.

Voici pour une des hypothèses, maintenant occupons-nous de l’hypothèse concernant peuple et nationalité des panels ethniques.

Commençons par détailler le panel utilisé par 24Genetics, société espagnole. Parmi les 400 pays étudiés par 24Genetics, une seule origine pour le Portugal et un détail de 17 régions pour l’Espagne. Est-ce à dire qu’il n’y a qu’une communauté génétique portugaise ou que le détail pour le Portugal n’est pas suffisamment détaillé ?

De toute manière, le pourcentage de 32,50 % est trop élevé, indiquant d’autres branches espagnoles dans l’arbre généalogique.

Étudions la première région espagnole, 13,40 % d’origine de Galice. Un ou plusieurs ancêtres seraient originaires de Galice. Je ne suis pas spécialiste de l’histoire du Portugal et de l’Espagne, je fais donc une recherche rapidement sur Internet. En lisant l’article paru sur Persée, Galice-Portugal : des relations transnationales privilégiées dans la Péninsule ibérique de Rubén Lois-Gonzalez, je trouve déjà les explications.

Je cite : « Dans cette région, l’intensité des migrations et l’histoire mêlée des familles se traduit par leur nom : les Oliveira, Pereira, Portas, Domingues, etc., se trouvent aussi bien en Galice qu’au Portugal. Il n’existe pas une famille qui qui ne puisse évoquer le souvenir d’un ancêtre portugais en Galice ou Galicien au Portugal. Ces affinités se traduisent également dans la langue, très proche et parfois considérée comme une seule langue galicienne-portugaise. »

L’auteur ajoute qu’une émigration massive de milliers de galiciens a eu lieue au 18e siècle vers Porto et Lisbonne, d’où certains ont pris les bateaux vers d’autres horizons.

Donc, le panel de 24Genetics ne détaille pas les origines portugaises. Quel(s) gène(s) ont-ils étudiés ? Celui du sud du Portugal, éloigné de Porto et Lisbonne ? Ce panel est-il représentatif de la diversité génétique du pays ?

Les galiciens s’étant installés à Lisbonne au 18e siècle ont pu se marier entre galiciens. Leurs gènes sont donc potentiellement restés majoritairement galiciens, même si au bout de 200 ans, soit environ 8 générations, leurs descendants se considèrent comme uniquement portugais, en vivant à la frontière avec la Galice.

Nous ne devons pas réfléchir en termes de nationalités mais en termes de populations avec des caractéristiques génétiques stabilisées sur plusieurs centaines d’années. Lesdites populations ont pu émigrer sans que leur ADN n’évolue avant plusieurs autres centaines d’années.

La même réflexion peut s’appliquer aux autres régions espagnoles. Il faudrait étudier leur histoire pour comprendre les liens migratoires tissés au cours des siècles.

Le bon procédé pour estimer les origines ethniques

Ainsi que je l’ai signalé, une autre caractéristique importante entre en ligne de compte : la temporalité.

En effet, les panels ont été réalisés avec les ADN actuels pris dans des pays actuels et rattachés à des nationalités actuelles.

Avec le test autosomal, nous pouvons explorer les gènes de 8 générations précédentes, soit environ 200 à 250 ans. Or en 200 ans, en Europe, nous avons eu des migrations massives avec la première et la seconde guerre mondiale. Combien de migrations durant cette période de villages entiers…

Ensuite, les pays ne sont pas des territoires homogènes génétiques. Ainsi sur l’ancien empire Austro-Hongrois, certaines populations avaient été volontairement déplacées. Elles ont constituées des enclaves dans de nouvelles zones géographiques. N’a-t’on pas appelé cette partie du monde la poudrière des Balkans ? On pourrait davantage la voir comme un immense gruyère. Et cela est valable pour l’Europe, l’Afrique, l’Asie, etc Les frontières géographiques ont bougé, les nationalités se sont déplacées ainsi que les communautés génétiques, parfois en perdant leur identité nationale d’origine pour une nouvelle identité, parfois en conservant leur identité d’origine.

Ainsi, plus d’un million de Hongrois (6,5 % de la population) vivent en Roumanie, en ayant conservé leur langue, et constituant des villages entiers vivant à côté des villages roumains. Si nous devions tester leurs gènes, ils seraient certainement identifiés comme des hongrois de Hongrie. Mais sur leurs papiers, ils sont roumains. Et ainsi de suite, dans tous les pays, nous pouvons retrouver de façon massive ou parcellaire des migrations de communautés ethniques avec leurs gènes.

Si nous devions faire une estimation des origines exacte, il faudrait en fait le faire sur une échelle temporelle, en situant les gènes sur une carte géographique de l’époque.

La méthode scientifique la plus viable serait d’avoir l’ADN des personnes ayant vécues il y a 200 / 250 ans pour les resituer sur une carte géographique. Nous comparerions ensuite nos gènes actuels à ces gènes anciens pour les resituer en origines géographiques à partir de notre ancêtre et de son emplacement à l’époque de sa naissance.

Mais les laboratoires utilisent les gènes actuels pour les situer sur une carte géographique actuelle.

Cela ne peut donc s’avérer qu’indicatif. Mais bon nombre de généalogistes le prennent au pied de la lettre, du fait des discours commerciaux des laboratoires n’expliquant pas la complexité du sujet.

Ce serait bien moins vendeur.

Le généalogiste génétique n’a plus qu’à se replonger dans les livres d’histoire pour retrouver les connexions entre ancêtres, origines géographiques de l’époque et liens génétiques possibles avec les populations.

 

Pour vous aider, vous pouvez visualiser cette vidéo présentant l’évolution des frontières depuis 400 avant Jésus-Christ. La vidéo fait plus de 11 mn, je vous ai sélectionné les 2 mn correspondant à l’évolution des frontières sur un temps génétique autosomal, soit depuis 1800.