Directeur Scientifique de la Fondation Jean Dausset-CEPH et directeur du CNRGH, Jean-François Deleuze est le responsable Scientifique du Labex GENMED et préside l’« Executive Steering Committee ».  Dans le cadre du Plan France Génomique 2025, il prendra la direction du CAD.

Logo du Centre National de Recherche en Génomique Humaine (CNRGH)

Le CNRGH, Centre National de Recherche en Génomique Humaine, permet de répondre aux questions scientifiques nécessitant des besoins de séquençage et de génotypage à haut débit grâce au développement et à la mise en œuvre de technologies innovantes et intégrées. L’organisation du CNRGH permet d’optimiser la recherche en génétique et en génomique des maladies humaines, en créant les liens indispensables entre la constitution des cohortes (échantillons d’ADN), l’identification des gènes responsables, l’étude du transcriptome et de l’épigénome.

Un humaniste

Rien de tel qu’un bureau pour éclairer sur la personnalité de son occupant, celui de Jean-François Deleuze révèle un esthète, amoureux de l’Art et de la vie. Ce grand hypocondriaque dévore la vie, conscient de son éphémère et aléatoire existence.  L’homme n’est qu’une enveloppe pour perpétuer l’ADN. L’ADN est un virus dont nous sommes le vecteur. Ainsi doit-il la vie à un élan d’affection incontrôlé de son père envers sa mère. Conscient de l’exigence de l’ADN, lui-même n’a pu résister au dit élan avec sa femme, pour donner la vie à ses deux filles.

Le ton est donné, cet orateur né va alterner réflexions philosophiques, références culturelles et connaissances médicales avec humour et bonhomie.

Dire ou ne pas dire

Après la conférence à l’Institut de myologie, j’aborde l’aspect éthique des maladies génétiques. Cet hypocondriaque répond de suite qu’il ne voudrait pas savoir. Le scientifique avance qu’il faut avoir un traitement à proposer. Les progrès en génomique ont remis en question les certitudes de ces dernières années.

Genoscope, vue de l'entrée

Genoscope, vue de l’entrée

Un enfant né avec la mutation de la mucoviscidose peut ne rien avoir développé à 50 ans. La mutation peut être « tamponnée » et ne pas s’exprimer du fait d’autres gènes présents. Pourquoi gâcher la vie de cet enfant, sans certitude qu’il développe la maladie ? Et quel intérêt d’informer l’adulte de 50 ans en pleine santé de la présence de ce gène dans son ADN ?

Une mutation doit être examinée dans le contexte global du génome. Et le séquençage complet du génome, prévu dans le plan France Génomique 2025 le permettra. Aujourd’hui, on ne connait que 2 % du génome humain. En démocratisant le séquençage complet du génome, la Recherche ne peut que tout découvrir. Voici le côté positif de cette boite de Pandore que nous ouvrons.

Le consentement éclairé

Jean-François Deleuze relève un manque sociétal majeur : le manque d’informations sur la génétique. Dans cette révolution du séquençage complète du génome, il faut créer un nouveau métier : conseiller génétique. Les personnes malades, dont le génome sera séquencé, doivent pouvoir donner un consentement éclairé.

La seule information médicale « prédictive » donnée aujourd’hui concerne la combinaison de groupes sanguins avec des rhésus incompatibles. Une surveillance médicale permettra d’anticiper les éventuels problèmes de santé pour l’enfant.

Aux États-Unis, la médecine prédictive génomique est réalisée pour ceux qui en ont les moyens, comme Angelina Jolie avec le fameux gène BRCA1/BRCA2. Le système de santé américain à deux vitesses s’exprime à plein. Et encore, la diabolisation du gène BRCA1/BRCA2 s’avère potentiellement néfaste. Une solution aussi radicale que la chirurgie n’était pas forcément nécessaire.

Il faut pouvoir donner une lecture éclairée, pour avoir des patients conscients de toutes les implications, ou pas, de cette information génétique.

Dans le cas du séquençage du génome, la France n’est pas assez riche aujourd’hui pour anticiper. Nous réagissons, mais nous ne pouvons pas prévoir car cela couterait trop cher. Nous n’avons pas les moyens de notre ambition.

Les laboratoires de généalogie génétique

La généalogiste génétique que je suis veut connaître l’opinion de Jean-François Deleuze sur les liens entre généalogie et maladies. La généalogie, qui suis-je, d’où est-ce que je viens, où vais-je ? La vie est si courte, et notre fin si inéluctable.  Face à la brièveté de l’existence, pouvoir se rattacher à une histoire plus ancienne peut rassurer. Son grand-père avait fait l’arbre généalogique de la famille. Par curiosité, il a été visité le village dont sa famille était issue au XVIIe siècle.

Si de par la loi, notre corps ne nous appartient pas, afin d’éviter la marchandisation (comme la vente d’un rein, par exemple), notre patrimoine génétique appartient à l’humanité.

Jean-François Deleuze évoque tout d’abord le cas DeCode. Ce laboratoire islandais, racheté depuis par le laboratoire pharmaceutique américain Amgen, avait obtenu l’exclusivité du séquençage de 700 000 SNP’s du gène des islandais, ainsi que l’accès à leurs données médicales et à leurs arbres généalogiques particulièrement complets pour la population endogamique de cette petite île.

Les résultats sont décevants. Sur 10 maladies examinées, dont la maladie d’Alzheimer, aucun marqueur n’a été validé scientifiquement.

Le laboratoire 23andMe a été mal considéré dans son approche mercantile de vendre des tests médicaux non validés scientifiquement en plus des origines génétiques. Avec des résultats approximatifs et non concluants de rapports scientifiques, ils vendaient des résultats médicaux. Pour avoir moi-même obtenu ces résultats en 2008, je peux témoigner de leur imprécision, et effectivement de leur dangerosité pour un public non averti et encadré. C’est pour cela que je les déconseille.

Lesdits tests ont été interdits, puis de nouveau autorisés pour une dizaine de maladies, sans aucune cohérence scientifique. Les résultats sont affichés sur un site internet sans aucun accompagnement pour comprendre lesdits résultats. Cette démarche va à l’opposé de l’approche française. Et il ne faut pas oublier les enjeux financier pour 23andMe, créé par l’ex-épouse d’un des fondateurs de Google, un lobbying puissant…

Les propositions commerciales de ces société étrangères pénètrent le sol français grâce à internet, sans l’encadrement nécessaire.

Une société basée sur l’ADN ?

Quant aux origines ethniques, Jean-François Deleuze ne croit pas en leur impact sur l’identité de chacun. Et de me citer une blague. Un conducteur de bus décide de modifier les règles du bus. Désormais, on ne parlera plus de couleur de peau, les blancs seront les bleu clair, et les noirs les bleu foncés. Et d’informer les bleu foncés qu’ils doivent tous se mettre au fond du bus.

Diana Russo, Responsable de la communication, et Jean-François Deleuze, directeur du CNRGH

Diana Russo, Responsable de la communication, et Jean-François Deleuze, directeur du CNRGH

Que des origines ethniques surprenantes soient dévoilées par un test ADN ne changera pas forcément la vision de son identité ou de l’identité des autres. La culture prend le dessus.

Cette différenciation a un impact dans la résolution des affaires criminelles. L’assassin d’Elodie Kuric a été identifié, 20 ans après les faits, grâce à la correspondance familiale de l’ADN d’un de ses oncles emprisonné. L’assassin était décédé quelques mois après le meurtre dans un accident de voiture. L’analyse ADN de ses restes a confirmé sa culpabilité.

Le Sénat a accepté la génétique des populations dans le cas des affaires judiciaires. Déterminer si le suspect est statistiquement européen, asiatique ou noir s’avère une aide déterminante dans la résolution des crimes. Et que dire de la reconstruction des traits morphologiques d’un suspect grâce à l’ADN.

Notre entretien s’achève déjà, nous aurons à peine le temps d’évoquer la morphologie et l’âge épigénétique, la transmission possible de caractères, la datation des mutations dans la génétique archéologique.

Il y a tant à dire, Jean-François Deleuze a tant à nous apprendre, nous en savons si peu…

Tous mes remerciements à Diana Russo pour avoir organisé cette si belle rencontre

Les ouvrages conseillés par Jean-François Deleuze

Le gène égoïste de Richard Dawkins. Éditions Odile Jacob. La Triple hélice. Les gènes, l’organisme, l’environnement de Richard C. Lewontin. Éditions Le Seuil.